EUROPE 51

Tamasa vient d’éditer en DVD Blu-ray deux films de Roberto Rossellini, Europe 51 et Où est la liberté ? Deux films proches dans le temps (1952 pour le premier, 1954 pour le second) mais d’un ton et d’une facture différents.

Europe 51 est le plus connu des deux. Rossellini a rencontré Ingrid Bergman, qui sera la vedette de ce film après avoir été celle de Stromboli, et  avant d’être, un an plus tard, celle du Voyage en Italie. Deux chefs-d’œuvre qui éclipsent un peu le film étrange qu’est Europe 51. La grande Suédoise y incarne l’épouse d’un industriel américain installé en Italie. Traumatisée par le suicide de son jeune fils, elle troque sa vie de bourgeoise futile contre celle d’une servante des plus pauvres et des plus déshérités.  Comportement scandaleux qui la pousse aux bords de ce que la société, à commencer par son milieu, juge être de la folie. Et qui n’est peut-être qu’appliquer à la lettre l’enseignement du Christ. Mais au Christ on ne fait jamais de cadeaux, et ceux qui se piquent de suivre son exemple l’apprennent à leurs dépens.

L’accueil d’Europe 51 à sa sortie fut contrasté. Un film presque entièrement manqué, condamne l’influent critique du Monde, Jean de Baroncelli. Mais le festival de Venise lui décerne son Prix international. Le film agace beaucoup dans le monde politique plus encore que dans le monde artistique, et la manière qu’a Rossellini de prendre  la société à contre-pied, pour ne pas dire à rebrousse-poil, irrite. Nous sommes loin aujourd’hui de ces querelles d’après-guerre, et on peut voir le film plus sereinement, dans son souffle christique que le réalisateur lui-même situait dans le prolongement de son  Onze fioretti de François d’Assise, tourné deux ans plus tôt, et qui montre un saint au moins aussi illuminé qu’Irène, l’héroïne d’Europe 51.

L’unanimité peut au moins se faire sur l’interprétation d’Ingrid Bergman. C’était un temps où Rossellini ne voyait qu’elle, et on le comprend. Immense vedette, elle fait son métier de comédienne juste comme il faut, avec sobriété, densité et efficacité. Dans un second rôle, une autre actrice s’emparait de l’écran : Giulietta Masina, qui n’allait pas tarder à passer au premier plan sous l’œil de Fellini, ancien assistant  de Rossellini, dans La strada.

C’est autour d’une autre grande vedette qu’est bâti Où est la liberté ?. Une

vedette bien différente, puisqu’il s’agit de Toto, le grand comique italien de l’époque. Procès, flash-backs : on juge un homme qui, sorti de prison après un séjour de vingt ans, et déçu par la vie qu’il trouve alors, échafaude un plan pour y retourner. Une invasion, à l’inverse d’une évasion. On a affaire ici à une comédie amère, jugeant une époque plus qu’un homme. Le temps de l’incarcération n’est pas n’importe lequel : entré en prison dans les années trente, les années glorieuses du fascisme, le héros en ressort dans l’Italie décomposée d’après-guerre, avec ses destructions (dont celle de son salon de coiffure, dans une rue qu’il ne reconnaît pas) et ses profiteurs minables. Le tableau social n’est pas plus reluisant que celui d’Europe 51, et la farce est grinçante.

Ce film est cependant curieux à un titre particulier, qu’explique un complément du Blu-ray : Rossellini n’y a travaillé qu’à moitié, l’esprit tourné vers ses projets suivants, et il a laissé le reste du travail à son assistant, Mario Monicelli, à qui sont revenues les scènes du procès. Cela donne en définitive deux Toto : celui qu’aiment Monicelli et l’Italie, c’est-à-dire celui qui en fait des tonnes dans les mimiques et la pitrerie, et celui, plus contenu, que dirige Rossellini. Un cas d’école… On sera heureux de revoir Toto, quelques années plus tard, aux côtés de Vittorio Gassman et Mastroianni, dans le chef-d’œuvre comique de Monicelli, Le pigeon, qu’on ne résiste pas de saluer au passage…

Europe 51, 1952, 1h49  version restaurée Blu-ray/DVD avec livret 20 pages et complément « Europe 51, le film aux X versions », Tamasa éditions

Où est la liberté ? 1954 1h32 version restaurée Blu-ray /DVD avec livret 20 pages « Toto, le Picasso du rire », et un complément de 16 minutes « Où est la liberté ? une comédie néoréaliste ».