/image%2F4124916%2F20250124%2Fob_dd2b5e_cimabue.jpg)
Le Musée du Louvre consacre une exposition au peintre Cimabue (1240 – 1302 ?) à l’occasion de deux événements marquants concernant ce peintre rare et largement méconnu : la restauration de la grande Maesta (Vierge en majesté) que possédait le Louvre depuis que les armées de Bonaparte l’avaient ramenée en France, et l’acquisition récente d’un petit panneau en bois découvert en 2019 et qui, classé trésor national, a pu heureusement être acquis par le Musée pour la somme impressionnante de 24 millions d’euros. Un prix qui s’explique : rares sont les peintures de Cimabue parvenues jusqu’à nous, alors que l’importance du peintre s’est affirmée.
La première œuvre attribuée à Cimabue est entrée au Louvre en 1802. Las ! Quarante ans plus tard, on s’aperçut que le tableau, Une Vierge à l’enfant, avait été peint deux siècles après sa mort. Ce tableau ouvre l’exposition, témoin de la connaissance très approximative qu’on avait alors de Cimabue. En 2025, on le connaît un peu mieux, on connaît mieux, en tout cas, sa manière à défaut de connaître une vie qui reste largement mystérieuse.
La Maesta est donc présentée après sa restauration. Avant, on vantait déjà beaucoup de choses dans cette
/image%2F4124916%2F20250124%2Fob_5b3600_cimabue-de-tail.jpg)
œuvre monumentale. On vantait ce qu’elle avait de neuf par rapport à la peinture d’inspiration orientale, celle des icônes, qui dominait alors. Elle introduisait un traitement plus vif, plus réaliste des corps, une aisance dans le trait, un mouvement, qui étaient une forme de rupture. Des qualités que soulignait déjà Vasari, commençant par lui en 1550 sa « Vie des meilleurs peintres », et relevant « un peu plus de vivacité, de naturel et de souplesse que les Grecs ». Et cet aspect reste majeur. La restauration révèle la qualité remarquable de Cimabue dans le traitement subtil et nuancé de la couleur, qui laisse admiratif. Vasari dénonce les peintres d’alors qui se transmettaient « une routine », « sans jamais améliorer le dessin, le coloris et l’invention ». C’est justement, ce que Cimabue va apporter, et qu’on trouve aussi dans le panneau de « La dérision du Christ », partie retrouvée d’un diptyque dont deux autres éléments sont parvenus jusqu’à nous et que les visiteurs de l’exposition ont le bonheur de voir aussi réunis, l’un venant de Londres et l’autre de Washington.
L’exposition situe l’avancée cimabuéenne dans son contexte. Celui d’une Italie où les villes prennent du poids et de l’ambition alors que Byzance est tombée, celui de la création et de l’installation de l’ordre franciscain. L’art grec est là, et la plupart des peintres s’en satisfont et s’en inspirent. Pas Cimabue. Tournant dans l’histoire de la peinture ? C’est ici qu’il faut faire la part des individus. Cimabue a des démangeaisons dans la main et dans la tête, il n’est pas un homme de routine. On sait peu de choses de lui, mais le peu qu’on sait laisse penser qu’il fut le grand peintre de son temps, celui qui a accompagné une société éprise elle-même d’affirmation et d’audace. Cimabue donne son esthétique à une période qui a soif
/image%2F4124916%2F20250124%2Fob_cef913_cimabue-christ.jpg)
de neuf. De sa célébrité, Dante nous donne un indice dans son « Purgatoire » (chant onze), en trois vers qui nous disent que Cimabue croyait dominer l’art de son temps, mais que la gloire passe vite et qu’il a été éclipsé par Giotto. En effet, élève de Cimabue, mais plus doué encore que son maître, Giotto occupait vite l’espace et prenait sur lui le soleil de la gloire. Plus que l’intéressant Duccio, lui aussi inspiré par Cimabue, et bien représenté dans l’exposition.
En réalité, ce qu’on voit ici, c’est ce que Soulages avait dit un jour de Cimabue : ne voyons pas les artistes comme un maillon décisif dans l’histoire de l’art, voyons-les pour eux-mêmes et pour leur propre génie ; celui de Cimabue était grand, comme le sera celui de Giotto. Ce qui est vrai aussi, c’est qu’ils ont été reconnus et encouragés par un milieu favorable à l’épanouissement de leur art.
« Le récit d’un commencement », dit le Louvre de cette exposition, la première consacrée à Cimabue. Ce commencement, on le voit ici à l’œuvre, dans la comparaison avec ce qui se fait alors. Et on voit que ce commencement est l’œuvre d’un homme et de son génie, que son époque a suivi. La grande aventure allait commencer. On est là à son point de départ, aux côtés d’un artiste considérable, un de ceux qui ouvrent la voie en réunissant maîtrise technique, œil sûr et inventivité. Autant dire qu’il ne faut sous aucun prétexte manquer cette exposition.
Revoir Cimabue. Aux origines de la peinture italienne
Jusqu’au 12 mai
Musée du Louvre