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Arts, cinéma, culture


NUITS BLANCHES DE VISCONTI A BRESSON

Publié le 18 Février 2025, 10:46am

Guillaume Des Forêts et Isabelle Weingarten dans Quatre nuits d'un rêveur

Magnifique expérience pour un cinéphile : Quatre nuits d’un rêveur (1971), de Robert Bresson, ressort en salles en version restaurée quelques semaines à peine  après qu’on ait pu revoir Nuits blanches (1957) de Luchino Visconti. Les deux films sont une adaptation de la même nouvelle de Dostoïevski, Les nuits blanches.  Les deux adaptations sont fidèles à l’argument, et pourtant le traitement en est radicalement différent. Et, bien sûr, magnifique dans les deux cas.

Un homme attend que la femme dont il est tombé amoureux oublie celui qu’elle aime, qui est parti et doit revenir. Chez Visconti, elle, c’est Maria Schell, lumineuse, lui c’est Mastroianni, émouvant et fragile. Visconti les filme dans des images et des lumières sublimes et un décor irréel. Le film happe le spectateur dès les premières images en lui rappelant que c’est notamment à la qualité évidente de celles-ci que se reconnaît un grand cinéaste. Dans ce drame à trois personnages, Visconti a choisi la solidité du métier de comédien, avec Marcello Mastroianni et Maria Schell et, dans le rôle de celui qui est parti et qu’on attend, Jean Marais. Mastroianni et Maria Schell y font des numéros remarquables et émouvants, avec un métier sûr. On a du plaisir à retrouver Maria Schell, un peu oubliée aujourd’hui, dans un rôle qu’elle illumine.

Le parti pris par Bresson est à l’opposé, dans sa ligne et son esthétique. Il prend des décors naturels sublimés et colorés et des acteurs inconnus. Son décor, c’est un Paris diurne et nocturne, les ponts et la Seine, les vrais. Le jeu des acteurs y est bressonnien, c’est-à-dire sans effets. Le ton est neutre, les visages énigmatiques et pourtant terriblement expressifs, la parole toujours mesurée et de poids.

Ainsi, passer de Visconti à Bresson, c’est passer du classique au moderne. Décors de studio, performance d’acteurs, narration classique : Nuits blanches, c’est une forme à son meilleur niveau, à son sommet, c’est-à-dire à un moment où il faudra trouver d’autres horizons. Ces horizons sont là chez Bresson, avec une modernité dans la narration qui est d’une autre époque, celle dans laquelle vont se reconnaître des cinéastes de la génération qui suit. La filiation la plus frappante, la plus immédiate, la plus franchement assumée est avec Jean Eustache. Isabelle Weingarten, l’héroïne de Quatre nuits d’un rêveur, on va la retrouver deux ans plus tard dans La maman et la putain, où elle interprète le rôle de la première amoureuse de Jean-Pierre Léaud. Lequel  n’hésitera pas à dire, dans le film, qu’une femme lui plait « par exemple parce qu’elle a joué dans un film de Bresson »… Autre fil entre Quatre nuits d’un rêveur et La maman et la putain : l’image de  Pierre Lhomme, saisissante par ses éclats de couleur chez

Bresson, par le dépouillement de son noir et blanc chez Eustache, mais sachant dans les deux cas saisir la respiration de Paris à hauteur humaine. Les images de Pierre Lhomme pour Quatre nuits d’un rêveur, sa manière de trouer la nuit de couleurs (des phares, des enseignes, des bateaux sur la Seine la nuit) sont inoubliables, comme l’est son Paris noir et blanc chez Eustache.  Et voilà donc maintenant, alors que vient de sortir (enfin !) le coffret complet des films d’Eustache, que des filiations se montrent et s’éclairent.  

Visconti, Bresson : chacun des deux puise à sa manière chez Dostoïevski. Visconti suit plus fidèlement l’histoire, Bresson la tire vers une plus grande cruauté.  Il faut donc rendre justice, à la fin, au grand romancier russe : sa nouvelle, qu’il faut lire, bien entendu, a la pureté d’un récit antique, et une simplicité qui se prête à des transpositions aussi diverses que celle de Visconti et de Bresson. Entre lesquelles il est impossible de choisir. La confrontation Visconti - Bresson dans cet exercice est une passionnante leçon de création.

 

Quatre nuits d’un rêveur, en salle le 19 février

 

 

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