LES ANNEES TCHEQUES DE MILOS FORMAN

Superbe idée : les premiers films de Milos Forman, ceux de ses années tchèques, sont réunis dans un coffret de trois DVD et Blu-ray. Ces films disent à la fois la genèse d’une œuvre, et un moment de l’histoire de l’Europe, ces années où à l’est une jeunesse impatiente attendait un frémissement de dégel et où, dans cette attente de printemps, la Tchécoslovaquie se donnait un cinéma frais et revigorant. De ce jeune cinéma tchèque, pendant de la nouvelle vague française, Milos Forman est le représentant le plus illustre.

Ces films, il est heureux qu’on puisse les voir ensemble, et qu’on en découvre ce qui en fait l’unité, frappante aujourd’hui : l’impatience d’une jeunesse devant un monde adulte étouffant d’intrusion et de rigidité. Certes, c’est un sujet de toujours et de partout, mais ici on est dans la société figée d’une dictature communiste où il est encore plus difficile de respirer. Des parents insupportables et indiscrets à l’appareil social, il y a une familiarité de comportement, il n’y a qu’un pas que Milos Forman se garde de franchir explicitement dans les trois premiers films, réservant ses flèches contre le pouvoir pour le dernier, Au feu les pompiers, celui après lequel il lui faudra quitter son pays.

Le premier, c’est L’audition. Des jeunes filles se rêvent un avenir de chanteuse, passent une audition, révèlent des personnalités diverses, se font juger. Film de bouts de chandelle d’un jeune homme qui sort de son école de cinéma, avec une partie reportage dans laquelle s’invite la fiction. Un ton, déjà, entre tendresse, ironie et envie de ruer dans les brancards, avec une belle maîtrise de moyens limités. Suit L’as de pique, vraie fiction, cette fois, récit d’une adolescence étouffée par un père et un patron, et qui doit trouver son chemin entre contraintes et incompréhensions. Adolescence qui fait ce qu’elle peut, toute seule, et doit grandir de ses expériences douloureuses et de ses maladresses.  

On pourrait dire la même chose de la jeune héroïne du film suivant, Les amours d’une blonde. La blonde a un travail monotone et des amours contrariées, ce qui n’est pas rare à cet âge. Histoire banale, donc, mais qui se complique du comportement particulièrement rigide et intrusif, sans tendresse, des adultes.

De ces premiers films, Milos Forman dit, dans un des suppléments que contient le coffret, qu’il n’y avait alors chez lui aucune intention politique, et c’est sans doute vrai pour l’essentiel. Du reste, la jeunesse occidentale de ce commencement des années soixante a elle aussi ses jougs à secouer, ses rigidités à combattre, et l’explosion de 68 touchera Paris comme Prague. Et c’est l’apprentissage de la vie, illustré avec délicatesse, qui fait toujours le sel de ces trois films.

C’est avec le dernier film de cette période tchèque, Au feu les pompiers, que le propos se fait plus

explicitement politique, même si c’est derrière le paravent d’une association de pompiers vieillissants qui font furieusement penser au politburo d’une quelconque dictature, donc au pouvoir tchèque. Le film se voit au premier degré comme un sommet de cocasserie et de drôlerie, comme une comédie d’une réjouissante efficacité. Mais il n’a pas fait rire tout le monde, preuve, s’il en était besoin, qu’une dictature peut avoir le sens du second degré. Et le pouvoir interdit la projection du film. Ce sera donc la fin de la carrière tchèque de Milos Forman, à qui il ne restera qu’à s’expatrier, fort, déjà, du succès international de L’as de pique et des Amours d’une blonde. Pourra alors commencer la carrière américaine du réalisateur, avec un film de transition, Taking off, avant le coup d’éclat de Vol au-dessus d’un nid de coucous. Il est permis d’avoir, pour les très frais et très talentueux débuts d’un cinéaste appelé à la gloire internationale, une tendresse toute particulière.

Editions Carlotta Films. Coffret trois Blu-ray et coffret 3 DVD nouveaux masters restaurés